Les restaurants Vietnamiens et Chinois de Paris des Années 50

de | mai 30, 2015

Dans notre jeunesse estudiantine, à Paris, pour changer de l’ordinaire des Resto U,  nous avions l’habitude d’aller dans des restaurants populaires vietnamiens ou chinois situés au Quartier Latin. Y retrouver quelques amis, pour déguster des plats traditionnels de notre pays natal, parler, discuter en vietnamien, constituent  un des des moments les plus heureux de cette époque. Souvenirs inoubliables que nous raconte Truong Huu Luong. 

      Mais où sont les neiges d’antan ?

                                                                  Trương hữu Lương

Des amis m’ont demandé d’évoquer des souvenirs à propos des restaurants que nous avions fréquentés ensemble au siècle dernier durant la période de nos études à Paris. Je vais donc essayer de satisfaire leur désir en proposant à nos lecteurs quelques images lointaines de ces endroits qui étaient familiers à bon nombre d’étudiants vietnamiens arrivés en France au début des années 50 du siècle dernier.

Tout d’abord, il faut noter que tous les étudiants à l’époque  avaient droit à des cartes de restaurants universitaires (que nous avions l’habitude de nommer Resto U pour plus de commodité) qui leur permettaient de prendre leur repas à des prix modiques propres à leur modeste budget d’étudiant.

Il existait au Quartier Latin où étaient groupés la plupart des étudiants de tous les pays,  de nombreux Resto U dont les plus connus et fréquentés étaient  le Resto « Le Prince » à l’angle de la Rue M .le Prince et le Bd Saint-Michel, le Foyer de l’Ecole des Mines à la rue Saint-Jacques, le Foyer Concordia, rue Tournefort, Foyer des Etudiantes mais ouvert à tous, garçons et filles.

 Un autre restaurant universitaire qui s’appelait le Foyer Sainte – Geneviève, se trouvant à quelques mètres de l’Hôtel Lhomond où j’habitais à mon arrivée à Paris attirait de nombreux connaisseurs pour leur fameuse spécialité : la Côte de Porc aux pommes frites. Mais quand arrive le Vendredi où l’on nous servait le poisson et la purée  d’épinard , l’endroit était presque désert , les Vietnamiens préférant se tourner  soit à leurs Phở  traditionnels préparés par eux-mêmes en petits groupes, soit à des restaurants vietnamiens ou chinois de leur choix.

 Mais avant de revenir à ces restaurants historiques qui ont presque tous disparu depuis des années, je crois qu’il serait intéressant d’évoquer un petit souvenir que  je garderai pour toujours dans ma mémoire car il concerne un personnage à qui je vouais une admiration profonde et dont j’ai déjà parlé dans quelques –uns de mes précédents articles, le Professeur Phạm duy Khiêm.

 En effet, M. Khiêm, avant de participer quelques années plus tard au 1er Gouvernement du Président Ngô đình Diệm, d’abord comme Secrétaire d’Etat à la Présidence de la République et porte-parole du Gouvernement et ensuite Haut-Commissaire du Viet-nam en France, menait à Paris une vie normale comme tant d’autres étudiants. Pendant sa traversée du désert , après avoir refusé l’offre des Gouvernements successifs sous l’égide de S.M. Bảo Đại qu’il considérait comme l’instrument des colons , il vivait dans des conditions très modestes, passant des heures à la Bibliothèque de la Cité Universitaire et se plongeant ensuite dans la piscine pour se retrouver finalement dans la foule des étudiants faisant la queue au Restaurant de la Maison Internationale.

Je le rencontrais donc assez souvent à ces endroits et un jour, au Foyer Sainte -Geneviève que j’ai cité plus haut, m’asseyant à ses côtés, je constatai un fait assez curieux. M. Khiêm posa son plateau sur la table et sortit lentement  de     sa poche un tout petit paquet, et c’est là la chose qui  me fit rire,  le paquet contenait en effet un plat spécial du Viet-nam,  de la viande de porc pilée , grillée et séchée ( ruốc trà bông) . Khiêm répandit doucement son « ruốc trà bông » sur    la pomme purée  du Restaurant et dégusta avec bonheur son plat préféré.

Si Khiêm était considéré par ses adversaires comme un francophile, voilà un autre exemple qui montre que quand même il est toujours fidèle à son pays ,du moins , par l’amour d’un  des plats  les plus populaires du pays natal et préparé par les siens vivant au Viet-Nam.

Revenant  maintenant aux restaurants vietnamiens et chinois, l’un des plus connus  et populaires de l’époque fut le restaurant Hanoi  (me suis-je trompé sur le nom ?) dont le propriétaire était Cụ Được un ancien ONS de la 2è Guerre Mondiale qui nous servait un Phở  qui n’avait  rien à voir avec le Phở actuel dans les restaurants du 13è mais que tout le monde savourait avec plaisir, faute de mieux. Ce restaurant nous était connu aussi sous le nom de « Phở Xuyến » du nom de la serveuse, une des nièces de Cụ Được, une jeune fille pas belle mais bien bâtie, un peu timide et admirée par certains d’entre nous, encore, faute de mieux.

Le restaurant qui était situé dans la rue Vaugirard presque à l’angle de la Rue M. le Prince fut ensuite transféré à la rue Mazarine , près de l’Odéon. On y venait non seulement pour la nourriture mais aussi pour le plaisir de rencontrer des amis, des compatriotes qui n’étaient pas nombreux  à l’époque. Je me souviens que c’était dans cette petite gargote que j’ai fait la connaissance pour la première fois de M. Phạm trọng Nhân, un homme de vaste culture qui, quelques années plus tard, deviendra l’un des diplomates les plus brillants du pays .

Je n’oublie pas non plus le nom d’un autre restaurant  le Lạc Hồng, situé rue M. le Prince mais d’une gamme supérieure car  c’était un véritable restaurant qui servait toutes sortes de plats rares ou populaires. Mon ancien collègue à l’Ambassade du Viet Nam, Raymond Phan văn Phi, et qui ,  plus tard sera  le Français d’origine vietnamienne le plus gradé du Gouvernement Français en sa qualité de Commissaire à la Communauté Economique Européenne, y travaillait,  quand il était étudiant, le patron de la boite étant son propre oncle.

Tout comme mon autre ami, Dr. Bui xuân Toàn , qui travaillait aussi à temps partiel dans un autre restaurant  Bd Montparnasse , « Le Phoenix » dont le propriétaire  était Phan chí Phú, frère de notre ami Phan chí Thọ, qui comme Toàn fréquentait le Lycée Albert Sarraut à Hanoi.

Avec Thọ et Toàn, nous avions de nombreux souvenirs durant ces années d’étudiant. Thọ était très bon cuisinier.  A l’Hôtel Lhomond où il habitait il nous  invitait souvent à venir déguster ses fameux plats, notamment le Phở avec la queue de bœuf, sa spécialité…Parmi les convives , Dương thiệu Vỹ, Trương như Bích, Đinh trịnh Hiển, tous résidant à l’Hôtel Lhomond, Phạm kỳNam ,le futur célèbre metteur en scène du régime de Hanoi à son retour dans le pays.

Les invités, n’ayant pas la tâche de préparer les plats, étaient obligés de faire la vaisselle à tour de rôle, pendant  que l’hôte se reposait calmement dans son canapé.

Malheureusement, de tous ces amis, Trương như Bích est le seul que je vois encore sur cette terre.

Dans la rue M.le Prince, existait également un restaurant Chinois, peut-être le meilleur restaurant chinois du Quartier Latin, le Dragon d’Or ou Kim Long. Le prix y était un peu cher, mais on y mangeait de bons plats chinois. Quand on venait en groupe on pouvait se partager un bon plat de Dorade grillée à la sauce cantonaise à un prix abordable. Un fait me revient à l’esprit. Il s’agit d’une gaffe de notre petit groupe de quelques copains .

Quand nous voyions à côté de notre table quelques dames françaises qui maniaient les baguettes à la perfection, l’un d’entre nous disait en rigolant en Vietnamien : « ces Dames sont de vraies Françaises aux liserons d’eau » (Đầm rau muống), une expression pas trop élégante car les liserons d’eau sont les aliments les moins chers dans la cuisine vietnamienne  et pourtant bien appréciés des Vietnamiens du Nord tout comme les germes de soja , les légumes de choix des Vietnamiens du Sud. Quel ne fut notre étonnement quand on  entendit de l’autre côté de notre table une réplique en Vietnamien : « oui messieurs nous aimons beaucoup les liserons d’eau sautés ».

Notre ami, le coupable de cet incident s’était alors levé pour présenter à ces charmantes dames des excuses ainsi que des explications sur le terme  « Đầm rau muống » avec une autre version plus anodine.

De  ces amis qui aimaient les blagues et l’humour, je dois parler d’un camarade de classe  qui n’est plus de ce monde. Il sera plus tard l’époux de Jacqueline, l’une des enfants du patron du Restaurant Lưu Đình, ce fameux restaurant derrière le Panthéon et qui servait en cachette, dans l’arrière -salle  du restaurant, à ses clients amis ce plat recherché :« Sang de porc coagulé » (le Tiết canh heo », un plat extrêmement rare qu’on ne pouvait trouver nulle part dans d’autres restaurants vietnamiens de Paris, mais qui faisait horreur aux étrangers qui n’étaient pas habitués à voir un tel plat tout rouge de sang cru. Cette spécialité était pourtant bien appréciée  par nombre de Vietnamiens  dont l’auteur de cet article.

Nhã, le gendre du patron du Lưu Đình, deviendra  plus tard, un éminent Professeur d’Economie Politique à la Faculté de Droit de Paris et sa femme Jacqueline, Professeur de Droit à L’Université  Dauphine.  Hélas ! Nhã ainsi que son épouse nous ont quittés à jamais.

Je termine la liste des restaurants connus par le dernier mais aussi, peut-être ,le plus connu , de par son nom et aussi de par quelques unes des particularités suivantes :

D’abord personne ne se rappelle  exactement le nom du restaurant. On ne se souvient que du sobriquet qu’on lui avait donné : Tiệm Mì Dơ. Le mot Dơ a  un double sens : dơ=sale en français et dơ c’est aussi la phonétique des mots aux œufs.  Donc soit c’est un  restaurant sale soit un restaurant qui sert les nouilles préparées avec des œufs, à chacun donc d’interpréter à sa façon.

En tous cas, bon nombre d’entre nous s’étaient donné rendez-vous dans ce restaurant, d’abord pour son prix très abordable pour nos bourses d’étudiants ensuite pour le goût, la saveur de ce plat extraordinaire, différent des soupes aux nouilles qu’on trouve habituellement dans d’autres restaurants chinois.

C’est une soupe à base de  sauce de viandox, avec de la viande de porc  hachée et  des feuilles de choux coupées en petits morceaux.

On n’oublie pas non plus que les plats sont servis aux clients par une charmante jeune fille du nom de  Mado (Madeleine).Très affable, elle passait à toutes les tables avec un large sourire et des mots tendres et doux qui faisaient plaisir à ses clients .

Des décennies après, j’ai retrouvé le goût de ce Mì Dơ dans un autre restaurant Chinois, rue Beaubourg,  près du Centre Georges Pompidou, Quartier Hôtel de Ville alors que le Mì Dơ d’origine se situait au Passage Raguinot, près de la Gare de Lyon.

Le nouveau restaurant est maintenant tenu par un descendant du Vieux Chinois du Passage Raguinot. J’ai signalé cette découverte à mes amis amateurs du Mì Dơ et de temps en temps nous nous donnons rendez-vous dans ce restaurant de mémoire pour revenir à notre passé, à nos années de jeunesse  sans soucis, à notre amitié durable.

Parmi ces fidèles du Mì Dơ, le dernier qui vient de nous quitter est Nguyễn hoàng Nghị, un ancien d’Albert Sarraut de la même promotion que Đỗ khắc Thành, Trương như Bich, Hoàng vũ San… C’est ce denier d’ailleurs qui m’a fait part de sa récente disparition .  Pauvre Nghị !« Requiescat en pace !»

J’ai essayé de mon mieux de faire le tour de ces quelques fameux restaurants ainsi que les souvenirs qui entourent ces endroits et les amis qui m’étaient   chers et si  j’ai commis quelques omissions ou quelques erreurs à cause d’une mémoire qui commence à faiblir je  crois que je peux compter sur la  bienveillance de nos chers généreux lecteurs./.

                                                                                    Paris 28 Mai 2015

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