Itinéraire d’un Vietnamien francophone

de | février 28, 2021

Le Vietnam |  10 décembre 2020

Ce récit reflète la situation des jeunes de l’époque de l’auteur, privilégiés et rares, en général envoyés en France par leurs parents, quand le pays était à feu et à sang avec la guerre d’Indochine puis l’agression américaine. Leur génération était fortement imprégnée de ces guerres de loin, les leurs étant restés sur place au Nord comme au Sud du 17ème parallèle. Et le Vietnam a remporté deux victoires historiques au prix de souffrances infinies.

Ha Noi les années 50

À Ha Noi dans les années 50 du XXe siècle, la plupart des jeunes écoliers fréquentaient les établissements vietnamiens où l’enseignement se faisait en vietnamien, avec quelques heures de français par semaine.

J’ai fait mes études primaires à l’école Nguyen Du, rue Hang Voi (rue de la Chaux), tout près des bords du fleuve Rouge. De mon école, on pouvait voir passer des trains sur le pont Paul Doumer (Cau Long Bien). J’ai assisté avec mes condisciples en 1946 à un spectacle peu ordinaire : le passage du train qui ramenait le président Ho Chi Minh de Hai Phong à Ha Noi au retour de son voyage en France, où les négociations avec la France avaient échoué. Ce souvenir a resurgi lorsque j’ai entrepris récemment une brève histoire de ce pont pour présenter l’album de photos de Daniel Frydman.

Mes parents, fabricants et commerçants de tricots de laine à Ha Noi, tentèrent un beau jour de m’envoyer faire des études dans un des rares collèges français de la ville, le collège Félix Faure. Ils sollicitèrent un entretien avec le principal du collège, un Français. Celui-ci demanda à mes parents de m’amener voir l’un des professeurs du collège pour un examen de passage.

Je me rendis un matin au collège, accompagné de mon père, qui parlait suffisamment le français pour les besoins de ses relations commerciales. Sur le chemin, il ne cessait de me rassurer mais je voyais bien qu’il était aussi angoissé que moi, ce qui était peu réjouissant pour le petit jeune d’une douzaine d’années que j’étais.

Arrivé au collège, nous fûmes reçus par une jeune professeur française. Elle me dit en souriant :

– Voici le jeune homme que j’attendais ! Venez dans mon bureau.

J’entrai dans son bureau, un peu intimidé, en regardant le décor : un bureau et deux chaises.

Mon père fut prié de rester dehors pendant l’entretien. Il se confondait déjà en remerciements.

La dame me fit asseoir, posa quelques questions sur mon nom et prénom, mon âge, ce que j’avais fait comme études jusque-là, le métier de mes parents. Je répondis sans trop de problème, ayant appris par cœur ces formalités.

Je m’attendais ensuite à une dictée quelconque pour l’examen de passage quand la dame demanda :

– Connaissez-vous quelques chansons françaises ?
Je répondis :
– Oui madame.
– Lesquelles par exemple ?
– Je connais Frère Jacques, En passant par la Lorraine, Ne pleure pas Jeannette …
– Eh bien, chantez-moi Jeannette .

D’une voix tremblotante je chantai Jeannette, sûrement aussi ému que l’héroïne de la chanson.
A la fin, la professeur m’arrêta d’un geste de la main et me dit :

– Mais ce n’est pas trop mal, jeune homme. Vous connaissez plutôt bien cet air.

C’est ainsi que je fus admis au collège Félix Faure, alors de bonne réputation à Ha Noi.

Au bout d’une semaine sur un coup de tête, je dis à mes parents que je ne pouvais pas aller tous les jours à cette école si loin de chez moi. Mes parents étaient fort fâchés de me voir refuser une place si convoitée par les familles bourgeoises de Ha Noi, qui espéraient voir leurs progénitures continuer leurs études en France. Après maintes tergiversations, nous sommes parvenus à un compromis : le collège Puginier, tenu par des Frères Saint Jean-Baptiste de La Salle, collège catholique évidemment, qui avait le mérite de ne pas être trop loin de la maison.

Le collège Puginier était particulier : les Frères formaient la majorité des enseignants, aidés de quelques laïcs, tous anciens séminaristes. Quoique ces personnes fussent toutes des Vietnamiens, ils parlaient en français entre eux et aux les élèves. Si bien qu’on aurait cru qu’on était en France, l’accent mis à part. L’apprentissage de la religion était obligatoire, y compris pour les élèves bouddhistes comme moi. J’appris donc les prières comme tous mes condisciples, et je savais au bout d’un mois quelques prières de base telles que « Notre Père », « Ave Maria » etc. Je fus toutefois dispensé de leçons de catéchisme et de messe. Je regardais de loin mes camarades qui servaient la messe et qui chantaient en latin. Quel don !

Au collège, on lisait des albums de Tintin et de Spirou dont les dialogues étaient traduits en vietnamien sur des bouts de papier collés sur les bulles des images.

Chez moi, je prenais des leçons particulières de français d’une jeune répétitrice vietnamienne à peine plus âgée que moi – mais qui maîtrisait assez bien la langue. Elle me faisait faire des exercices de grammaire, me donnait à lire Le Petit Chose d’Alphonse Daudet, déjà Chose au masculin m’avait frappé, Sans famille d’Hector Malot. Je devais consulter le dictionnaire Larousse de la bibliothèque familiale à chaque page des romans que je lisais et notais les nouveaux mots sur un calepin. J’eus la joie de suivre les aventures de Vitali et de Rémi ainsi que de leurs amis animaux, le chien Capi et le singe Joli-Cœur.

Les leçons des Frères et de la répétitrice ainsi que ces premières lectures m’ont ouvert la porte de la langue française.

Départ inopiné en France

En 1953, la guerre d’Indochine faisait rage au Viet Nam. Ha Noi, sous l’administration française et le gouvernement allié de Bao Dai, semblait encore calme mais les bruits de guerre n’étaient pas loin. Les jeunes Vietnamiens en âge de mobilisation étaient sur le qui-vive depuis qu’en 1951 le général de Lattre de Tassigny avait décrété la mobilisation générale dans l’armée nationale vietnamienne pour combattre le Viet Minh.

Mes parents me disaient : « Tu es encore loin de l’âge de mobilisation. Mais la situation politique est précaire. Ton frère aîné peut être mobilisé d’un instant à l’autre. Veux-tu partir en France pour tes études ? »

J’avais bien compris la situation mais quitter ma famille et Ha Noi fut une décision difficile tant j’étais habitué depuis mon enfance à vivre auprès des miens et dans ma ville. Un heureux hasard fut qu’un de mes cousins germains, âgé de dix-huit ans, était parti en France peu avant. Alors je dis oui à mes parents.

Le jour du départ, mon père m’accompagna jusqu’à l’aéroport Gia Lam de Hanoi. Nous nous séparâmes le cœur serré, sans savoir quand nous nous reverrions.

Du hublot de l’avion, un Aigle d’Azur à hélices, je regardais les méandres du fleuve Rouge, les rizières et les villages cerclés de bambous, les buffles et leurs gardiens, dernières visions du Viet Nam si familier.

Après moult escales dans des villes que je découvrais pour la première fois, Calcutta, Karachi, Téhéran, l’avion débarqua à Orly, France. Dès l’entrée à l’aéroport, je me précipitai pour demander à une hôtesse où était « la toilette ». Elle sourit : « Vous voulez dire les toilettes ?» et elle m’indiqua la direction. J’y fonçai sans saisir que je venais de commettre ma première faute en français à peine touché le sol de France !

Puis je cherchais dans la foule le Vietnamien, fils d’une famille amie de mes parents, qui devait venir m’accueillir. J’avais repéré un homme d’une vingtaine d’années qui agitait une photographie, la mienne. Je lui fis signe, c’était bien lui. Nous hélâmes un taxi qui nous conduisit à son hôtel boulevard Saint Michel à Paris. Hôtel des Mines, en face du jardin de l’Observatoire. En ce mois de décembre, le ciel fut sombre dès le soir, les rues de Paris, capitale des Lumières, me semblaient grises et tristes, comme mon humeur à ce moment. Mon nouvel ami, qui avait l’âge de mon frère aîné, se montrait plein d’attention, me disait qu’il me connaissait un peu grâce à une lettre de recommandation de mes parents. Il était venu à Paris en 1950, avait passé le Bac Math’élem et s’était inscrit à la Sorbonne pour une licence de sciences. J’avais déjà entendu quelques Vietnamiens revenus de Paris vanter la réputation de la Sorbonne comme le summum de la science et de la littérature. C’était l’Olympe de l’esprit pour tout étudiant vietnamien de l’époque. J’eus donc tout de suite de la considération pour mon aîné. D’ailleurs plus tard, il fit plus tard une belle carrière d’astronome au sein du CNRS à l’Observatoire de Paris, qui se trouve à proximité de cet hôtel.

Le lendemain, mon cousin vint me chercher, fit connaissance de cet ami, puis nous le quittâmes pour nous enquérir d’un logement dans le Quartier latin. Sur les conseils de compatriotes, nous avons choisi une pension de famille à côté du Panthéon. La pension était tenue par un Martiniquais et sa femme, une Française blonde. C’était le premier couple mixte que nous voyions en France. Les jours suivants nous fîmes le tour des collèges et lycées pour nous inscrire. Mon cousin, qui avait un bon livret scolaire à Hanoi, put s’inscrire à Louis-Le-Grand en Math’élem. J’avais trouvé le collège Sainte Barbe juste en face de la pension, collège dont quelques camarades disaient grand bien. Je choisis d’être interne dans ce collège pour n’avoir aucun souci de trajet scolaire, de repas, ni de logement. Les frais de pensionnat étaient élevés mais je savais que mes parents faisaient tout pour mes études. Mon cousin m’amena voir le proviseur du collège (ce collège allait jusqu’au baccalauréat) qui accepta de m’inscrire en classe de cinquième bien que je fusse en retard d’un trimestre.

Le professeur de français était une dame d’une cinquantaine d’années, d’allure sévère, qui ne cessait de crier aux jeunes élèves : « Bon sang, cessez de bavarder pendant le cours ». J’avais murmuré à l’oreille de mon voisin, un petit Français malicieux : « Comment écrire Bonsans ?». Il rigola : « Sang » comme du sang, tu comprends. Et il m’expliqua : « Et ça veut dire que notre professeur a du sang qui lui monte à la tête, tu piges ? » Il fit un clin d’œil me rendant complice de sa plaisanterie. Du coup j’avais appris deux expressions nouvelles, « bon sang » et « piger ».

Un jour cette professeur de français me prit à part :

– Monsieur, vous êtes venu de votre pays pour apprendre le français et pendant la récréation je vous ai vu souvent avec vos compatriotes et non avec les élèves français. Qu’est-ce que ça veut dire ?

Je bafouillai :

– Madame, je suis bien loin de chez moi et ma seule consolation c’est de parler un peu de vietnamien avec mes compatriotes hors des cours.

Compréhensive, elle me donna ce conseil :

– Vous devriez tout de même parler plus souvent avec vos camarades français. Vous verrez que c’est le meilleur moyen d’apprendre une langue.

Elle avait raison. Je jouais donc dans la cour avec mes camarades français plus souvent. Je m’étais vite aperçu que leur langage n’était pas conforme à ce que j’avais appris dans les livres scolaires. Je faisais connaissance avec la langue vivante, celle qu’on parlait tous les jours, mélange d’expressions familières et d’argot.

Pour l’argent, mes camarades disaient : fric, blé, pèze, flouze, pognon …

Pour partir : débiner, filer, ficher le camp, lever voile …

Pour ennuyer : emmerder, embêter, barber, empoisonner, faire suer etc.

Pour marquer une surprise : oh la vache, mince alors, dis donc …

Entre Victor Hugo et Lamartine, un nouvel horizon s’ouvrait devant moi, de quelle richesse !

En un semestre, j’avais acquis un bagage suffisant pour converser avec mes camarades dans leur langage.

Pendant ce temps, j’étudiais sérieusement toutes les matières, le français littéraire, l’anglais, les mathématiques, les sciences naturelles, l’histoire (de France), la géographie (de France).

A la fin de l’année scolaire, la professeur de français me fit monter sur l’estrade à côté de son bureau puis me cita en exemple devant tous mes petits camarades qui, loin d’être jaloux, tinrent à me féliciter à leur tour. J’étais aussi fier comme un coq gaulois.

Toutes mes études secondaires se déroulèrent sans entrave. Je prenais soin de noter sur les petites fiches ce que j’étudiais, pour chaque œuvre le nom de l’auteur, le résumé, quelques citations à retenir. Cela s’était avéré utile pour le baccalauréat où j’avais choisi Polyeucte pour explication de texte.

Absolument étrangers à ma culture d’origine, ces auteurs étaient devenus familiers grâce à la culture scolaire. Parallèlement, j’explorais les auteurs contemporains, allant de Simenon et la Série Noire aux auteurs « indochinois » des années cinquante, Jean Hougron, Jean Lartéguy, Lucien Bodard qui finissaient par me lasser avec le côté moite et intrigant de leur vision de l’Indochine. Graham Greene, avec The quiet American, que je lus dans la traduction française, me semblait bien supérieur dans la création des personnages, américains, français et vietnamiens et de l’atmosphère de Saigon de l’époque. Je dus lire Un barrage contre le Pacifique de Marguerite Duras pour trouver une atmosphère semblable. La collection Seghers me permit de découvrir les poètes français contemporains. Jacques Prévert était en vogue à l’époque, j’avais lu un jour son émouvant poème sur la guerre du Viet Nam. Un ami français de mon âge nous faisait écouter Georges Brassens dès son début avec le fameux Gare au gorille qui nous faisait rire aux larmes. Les autres poètes compositeurs, Barbara, Charles Trénet, Léo Ferré, Guy Béart, Charles Aznavour, Jean Ferrat m’enchantaient avec leurs chansons, véritables hymnes à la langue française.

Double langage

C’est une chance d’être bilingue. Apprendre le vietnamien n’est pas difficile pour moi car c’est ma langue maternelle. On apprend à parler dès son enfance, c’est surtout une question d’oreille. Depuis que l’écriture vietnamienne a été romanisée au XVIe siècle par l’intermédiaire des pères jésuites portugais et perfectionnée par le père Alexandre de Rhodes, Avignonnais d’origine, le «quoc ngu», c’est-à-dire la langue nationale écrite en lettres latines, les Vietnamiens peuvent apprendre à lire et à écrire en six mois en moyenne. J’avais donc très rapidement maîtrisé le vietnamien et beaucoup lu de livres, d’abord les livres pour les enfants puis tout un monde de romans, de poésie vietnamiens ainsi que de romans étrangers, français, chinois, anglais traduits en vietnamien.

En vietnamien, les mots sont invariables, les temps passé, présent et avenir sont simples d’emploi, il n’y a pas à proprement parler de conjugaison En revanche il faut maîtriser la syntaxe du discours mais cela ne présente aucun problème quand il s’agit de la langue maternelle. Il n’en est pas de même pour la langue française où la grammaire et la syntaxe me demandent toujours beaucoup de mon temps. Je ne compte plus les heures passées à vérifier l’orthographe sur le « Bled » ou dans le « Bescherelle ».

Il m’arrive encore de « m’emmêler les pédales » dans l’emploi des temps du passé ou du futur, si précis dans la langue française. Je m’insurge parfois contre certaines particularités : se succéder par exemple s’écrit toujours sans s dans : « Les rois de France se sont succédé ». Pourquoi « avant que » commande un subjonctif et « après que » un indicatif ? Pourquoi «« relais » s’écrit avec un s au singulier mais «délai » non ? Pourquoi ? À mon sens la langue française navigue entre la logique cartésienne et la subtilité pascalienne.

Profession médecin.

En m’inscrivant à la Faculté de médecine de Paris dans les années 60, je m’attendais à des difficultés évidentes : la sélection des étudiants est sévère dès les premières années de médecine où tout échec après à un redoublement élimine définitivement le candidat. A mon époque 50 % des candidats échouaient. C’est dire que chaque étudiant devait fournir le maximum d’efforts pour assimiler les diverses disciplines : anatomie, biologie, physiologie, physique et chimie. Je m’étais vite familiarisé avec le vocabulaire médical d’origine grecque et latine : symptôme, syndrome, étiologie, pathogénie etc… C’était encore le temps où l’on rédigeait les réponses écrites à l’examen ; depuis les candidats ont à répondre aux QCM (questionnaires à choix multiples).

Quelques années plus tard, je préparai le concours d’Internat des Hôpitaux de Paris, très difficile : beaucoup de candidats, peu d’élus mais, au bout du tunnel, la récompense assurée. J’avais fini par attraper les tics estudiantins en débutant chaque exposé par une ligne générale et en concluant par « Au total, le problème se résume à…», ce formalisme de l’écriture ne m’échappait pas mais il fallait bien jouer le jeu, chaque profession a son jargon propre.

Devenu pédiatre, j’ai la chance d’être au contact des mères – le père n’étant que l’intermittent du spectacle. Les enfants, dès l’âge de la parole, s’expriment directement avec parfois des expressions très imagées :

– Ma tête brûle.

– Ça cogne dans ma tête.

– Je pisse du feu (ce n’est sans rappeler la « chaude-pisse » des adultes).

– J’inonde mon lit cette nuit.

Le médecin écoute mère et enfant, démêlant le vrai de l’imaginaire, cherchant le sens du trouble avant même l’examen physique.

Le contact des enfants de parents immigrés, fréquent dans l’hôpital au nord-est de Paris, pose d’autres problèmes. Les immigrés récents parlent à peine le français, ce sont souvent leurs enfants déjà scolarisés qui parlent au médecin. Pour les nourrissons, il reste le recours de gestes entre le médecin et les parents, parfois on regrette de n’avoir pas les dons d’un Charlot ou d’un mime Marceau.

Si je parle au présent de mon expérience professionnelle, c’est qu’elle a gardé sa valeur toute ma vie.

Le Monde et nous.

A la Cité universitaire d’Antony dans les années 60, un jeune étudiant vietnamien surnommé Spoutnik s’était illustré par ses discours politiques auprès des étudiants du Tiers Monde, ceux du Maghreb, des îles d’Outremer, d’Afrique noire. Je l’admirais pour ses vastes connaissances, nous n’avions que vingt-trois ans, au début de nos études universitaires. Dans sa chambre, j’avais vu des piles et des piles du quotidien Le Monde. Je pris au hasard quelques exemplaires, et je constatai que beaucoup d’articles étaient soulignés en rouge ou en bleu par mon camarade. J’avais découvert la source de ses discours. Je devins ainsi un lecteur assidu du Monde pendant des décennies. Chaque fois que j’étais au Quartier latin, j’achetais mon exemplaire au vendeur à la criée du boulevard Saint Michel qui avait une voix de stentor. J’admire dans ce quotidien le respect de l’orthographe et de la grammaire, le sens de la formule des journalistes. C’était l’époque où la guerre faisait rage au Viet Nam, avec la présence massive des GI au Sud du pays. Je me souviens encore des reportages du Monde sur le conflit, le nom de leurs auteurs

Je suis passé récemment au quartier Opéra et je vois bien que le siège historique du Monde au boulevard des Italiens a disparu. Tout a changé, décidément.

La tentation de l’écriture

Que peut-on faire quand on a lu un bon nombre de manuels scolaires, de romans et d’articles de journaux ? Et quand on est bilingue et prétendant appartenir à la francophonie ? Ecrire, évidemment. J’admire mes compatriotes et aînés qui ont écrit leurs œuvres directement en français, Pham Duy Khiem, Pham Van Ky, Pierre Do Dinh, Cung Giu Nguyen, Le Thanh Khoi. Je ne parle que de ceux dont j’ai lu certaines œuvres. Leur maîtrise de la langue française, tout en conservant leur culture d’origine, fait merveille. Je dois citer les femmes écrivains contemporaines, je n’aime pas le terme « écrivaine », comme Linda Lê, Minh Tran Huy, dont les lecteurs français connaissent les œuvres. J’ai commencé à traduire quelques poèmes ou livres du vietnamien en français et à rédiger quelques courts articles pour la revue Carnets du Viêt Nam ou mis en ligne par l’association AD@lY, Les Amis de Da Lat sur les traces d’Alexandre Yersin (site : www.adaly.net) et par www.hanoimillenium.org. C’est encore timide et plein de gaucherie, un ami français et vietnamophone remarque que certains Vietnamiens écrivent le français dans le style « hyper-correctif ». Il veut dire par là que le souci d’être grammaticalement correct prime sur le style. Ce doit être mon cas.

La carte d’identité vocale.

Je suis consterné d’apprendre que certains de mes compatriotes s’acharnent à imiter « l’accent parisien ». Si l’on reconnaît aisément l’accent marseillais, l’accent toulousain, définir « l’accent parisien » est moins facile. De plus quand ils parlent français, on décèle aisément la région du Viet Nam d’où ils sont issus.

L’an dernier, j’ai reçu un coup de téléphone très matinal. J’ai reconnu instantanément une voix familière, celle de Benoît G., mon vieux complice des années 60 à la Faculté de médecine. Nous avions passé trois années à préparer ensemble l’Internat mais nous passions plus de temps à parler de politique qu’à apprendre de la médecine, si bien que d’un commun accord on s’était séparés pour préparer le concours. Benoît a disparu ensuite pendant trente ans pour faire de la médecine communautaire en Tunisie puis au Canada. Jusqu’à ce coup de téléphone impromptu.

–  Allo, est-ce que je peux parler au professeur Vu Ngoc Quynh ?

Je reconnus immédiatement son ton moqueur.

– Non, vous vous trompez de numéro, ce monsieur n’habite pas ici »

– Allons c’est bien toi Quynh. Je reconnais ton accent.

J’ai dû avouer à Benoît que c’était bien moi.

Ainsi donc, au bout d’un demi-siècle de vie en France, je garde mon accent d’origine, véritable carte d’identité vocale. « Personne n’est parfait. » J’ai failli dire « Personne n’est parfaite ».

Encore une de ces subtilités de la langue française qui ne cessent de m’intriguer.

Vu Ngoc Quynh

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