RETOUR A L’ÉCOLE DE NOS JEUNES ANNÉES
Pour la première fois depuis plus d’un demi-siècle, le nom de notre école, Lycée Albert Sarraut, résonna de nouveau dans le grand vestibule du bâtiment qui abritait le lycée, à 11h00, ce 27 octobre 2013, quand le Vice-président de la Commission des relations extérieures du Comité central du Parti communiste vietnamien recevait officiellement plus de 250 anciens élèves du Lycée Albert Sarraut venus de toutes parts du Vietnam et de France.
Ces simples mots résonnant dans ce cadre particulier avaient de quoi remuer jusqu’au fond du coeur toutes les générations d’alasiens et d’alasiennes présents. Ces anciens qui ont tous passé la soixantaine, certains dépassant les soixante-dix ou quatre-vingts ou même quatre-vingt-dix, les cheveux poivre sel ou tout blanchis par le temps, se regardaient les yeux embués, la voix étranglée.
« Lycée Albert Sarraut », ces mots chers à nous tous déclenchent presque toujours des émotions fortes parce qu’ils évoquent cette période de notre tendre jeunesse passée en classe, période qui a grandement modelé notre personnalité sur le plan intellectuel et affectif.
Dans les murs de notre ancien lycée, par instants, des images vécues voici plus d’une cinquantaine d’années et enfouies dans un coin de notre subconscient, revenaient, pêle-mêle, à notre esprit. Cette émotion est d’autant plus intense que le passé concerné est plus éloigné. Ce n’est pas un léger serrement de cœur qu’a éprouvé le petit bonhomme à la gibecière d’Anatole France qui revenait à son collège, en traversant le jardin du Luxembourg, après trois mois de vacances, mais pour ces alasiens et alasiennes, c’était une sensation poignante causée par une longue séparation, très longue, qu’ils avaient cru à tout jamais définitive. Et ils avaient dû attendre des décennies et traverser mers et océans pour revenir et retrouver le lieu où ils ont passé peut-être les plus belles années de leur vie.
Quittant le lycée, éparpillés, dispersés aux quatre coins du Vietnam et du monde, chacun de son côté et à sa façon, ils avançaient dans la vie, réussissaient dans leurs études, au service de la communauté. Mais il y a tout de même une partie des alasiens qui n’avaient pour tout bagage culturel que l’éducation dispensée par notre lycée pour affronter les vicissitudes de la vie, mais qui, à force de labeur et d’abnégation, avaient quand même bien réussi à apporter une contribution louable à leur
Une fois franchi le seuil de notre cher lycée en cette journée de retrouvailles, au cours de ces instants de joies mêlées de tristesse et de nostalgie, pointa en moi un profond regret. Je regrettais de ne pas revoir certains des plus intimes de mes camarades de classe qui peut-être ne sont plus, ou qui vivent sous des cieux trop lointains pour pouvoir répondre à l’appel au retour de notre lycée. Sans doute ce regret serait aussi partagé par ceux de mes amis qui avaient manqué ce rendez-vous unique et mémorable. Car qu’y-a-t-il de plus cher et souhaitable, au crépuscule de notre vie, que de se retrouver ensemble dans l’enceinte de notre ancien lycée qui vient de retrouver son appellation originelle Lycée Albert Sarraut ? A entendrecette adresse prononcée par le maitre actuel des lieux : “Mes tantes et mes oncles – permettez-moi de vous appeler ainsi – cette visite que vous faites dans ce bâtiment est un retour à votre « maison »… Et encore : “…vous faites partie non seulement des témoins de l’histoire, mais de ceux qui y établissent un lien durable, qui préservent l’amitié entre les deux peuples vietnamien et français…” combien d’entre nous se sentaient tout autre qu’auparavant et, subitement, conscients de leur place dans l’Histoire ?
Phí Hoàng Cường
Ancien du Lycée Albert Sarraut 1949-1957